L’appel de Christchurch : une initiative louable, mais laborieuse.

Par Maxime Bérubé, chercheur postdoctoral du CRSH, Projet SOMEONE et Chaire UNESCO-PREV

Depuis le début du 21e siècle, les espaces numériques ont été investis par la plupart des sociétés à travers le monde, et l’ont également été par les mouvements extrémistes en tout genre. Profitant de la démocratisation d’Internet et de l’avènement des réseaux sociaux, certains acteurs extrémistes s’en servent pour faire la promotion d’organisations terroristes et de l’extrémisme violent plus largement. Dans l’objectif de miner les efforts de ces derniers, un nombre grandissant de dirigeants d’États et d’entreprises de technologies se rallient à une initiative récente connue sous le nom de « l’Appel de Christchurch ». Cette initiative, lancée par les gouvernements français et néo-zélandais, propose la mise en place de moyens globaux pour lutter contre la promotion et l’incitation à la haine et la violence dans le contexte numérique. Aussi louable cette démarche puisse être, elle propose toutefois de nombreux défis pour ces instigateurs, tant sur le plan légal, éthique et technique. 

Des inconsistances légales

Bien que de nombreux États aient considérablement renforcé leur cadre législatif afin de lutter contre l’extrémisme violent ces dernières années, les ajustements en ce sens varient d’un pays à l’autre et sont appliqués plus ou moins rigoureusement selon les contextes. Au Canada, contrairement à la France par exemple, l’accord d’un juge est nécessaire pour la suppression de contenus numériques jugés comme illégaux. Comme les problématiques liées à la diffusion de ce type de matériel en ligne transcendent les frontières, il est donc nécessaire d’assurer une certaine cohérence et une consistance à l’égard des encadrements législatifs permettant une application uniforme des procédures mises en place. Dans un même ordre d’idée, une certaine uniformisation doit également se faire à l’égard des conditions d’utilisation pour les différentes plateformes où sont diffusés les contenus problématiques. Dans le cas contraire, on risque de n’assister qu’à une adaptation éventuelle des pratiques de diffusion de ces contenus, et à une amélioration de la situation qui ne serait que partielle et parcellaire ; sans compter qu’un joueur incontournable dans cette lutte ne s’est pas joint à l’appel : les États-Unis.

Des limites éthiques et techniques

Advenant qu’une application globalisée de mesures puisse être mise en place pour retirer rapidement, voire instantanément, les contenus indésirables de l’espace numérique, certaines limites technologiques demeurent à considérer. D’abord, une collaboration est essentielle avec d’innombrables acteurs de l’industrie du web, puisque ces derniers sont les seuls à disposer du plein contrôle des activités sur leurs plateformes. Si les principaux « géants » du web et les plus fortunés semblent avoir emboité le pas, encore faudra-t-il fournir des incitatifs et des ressources aux entreprises technologiques qui ne peuvent se permettre d’allouer un nombre suffisant de ressources à cet effet, et qui sont aussi prisées par les mouvements extrémistes violents. De plus, sur le plan technique, les technologies actuelles ne permettent généralement pas le retrait immédiat tel qu’escompté. En fait, c’est plutôt dans un délai de 24 heures, ou parfois moins, que ces contenus sont retirés, mais le plus souvent après qu’ils aient été consultés par une masse importante d’utilisateurs. Inévitablement, des délais logistiques et techniques s’imposent à ce genre de pratiques, et ce, entre autres parce que le retrait autonome par des systèmes informatisés doit encore être accompagné d’une supervision humaine afin de respecter la liberté d’expression et d’éviter le retrait de contenus ne devant pas faire l’objet de censure. Ces dernières années, plusieurs milliers de pages web et de comptes sur les médias sociaux ont été fermés. Bien que cela puisse permettre de réduire le volume de contenus extrémistes ou de propagande terroriste dans l’espace numérique, ainsi que la portée qu’ils peuvent avoir, la nature même d’Internet fait en sorte qu’il est hautement improbable de pouvoir espérer en retirer l’ensemble des contenus problématiques.

Enfin, sans vouloir être pessimiste, il semble que des obstacles importants se posent aux intentions présentées dans cet appel et pour lesquelles de profondes réflexions devraient être engagées. En raison de ces limites, l’approche répressive envisagée dans cette démarche ne fait également pas l’unanimité. Afin de remédier à cette situation, tout en évitant de nuire aux principes de liberté d’expression, une approche plus éducative aurait toute avantage à être préconisée. Plutôt que de chercher à éliminer ces contenus de l’espace numérique ou de censurer la tenue de tels propos de manière éphémère, l’orientation de cette initiative vers une stratégie globalisée d’éducation sociale, notamment quant au développement de la pensée critique et de la littératie numérique, offrirait sans doute des résultats plus probants à long terme, ainsi que des retombées plus généralisées dans nos sociétés.