Combattre la haine et l’extrémisme violent par la pédagogie sociale

Par Ryan Scrivens, Ph. D.

Boursier postdoctoral Horizon, Université Concordia

Cela peut paraître surprenant pour certains, mais le Canada – nation multiculturelle, s’il en est une – n’est pas immunisé contre la haine et les préjugés, et ne l’a jamais été. En fait, ceux et celles qui entretiennent l’intolérance et les croyances radicales vivent toujours parmi nous et commettent des actes radicaux souvent au nez de tous. Par exemple, en 2017, on a observé sur les campus des universités canadiennes une montée soudaine dans la distribution de dépliants faisant la promotion d’idées islamophobes et d’extrême droite. La même année, un homme aux opinions antimusulmanes est entré dans une mosquée de Québec et y a tué six fidèles en plus d’en blesser dix‑neuf autres. Un autre homme – celui-ci arborant un drapeau du groupe État islamique sur le siège avant de sa voiture – a heurté quatre piétons sur une rue achalandée d’Edmonton et, par la suite, a poignardé un policier au cours de son arrestation. En cette période d’augmentation apparente des actes inspirés par la haine au Canada, il est primordial d’éduquer le grand public à propos du caractère complexe de la haine et de la radicalisation menant à la violence extrémiste. C’est une tâche que nous, membres de l’équipe SOMEONE, avons entreprise – notamment en mettant à profit le pouvoir de la pédagogie sociale, dans les communautés comme à l’échelle nationale.

Pour être efficace, une démarche destinée à contrer la haine et l’extrémisme violent doit essentiellement s’amorcer dans la sphère publique, notamment en tissant des liens avec les intervenants clés. Cette approche doit en outre faire la promotion – en général – de l’intellectualisme public et de la pédagogie sociale et – en particulier – du militantisme social et de la pensée critique. Loin d’être facile, l’exercice reste tout de même réalisable. Par exemple, en 2013, j’ai mené à titre de cochercheur une étude échelonnée sur trois ans, financée par Sécurité publique Canada (sous l’égide du programme Kanishka), sur l’état de l’extrémisme de droite au Canada. L’étude avait entre autres pour objectifs d’explorer les facteurs internes et externes les plus susceptibles d’entraîner une montée de l’extrême droite et de la violence associée aux groupes extrémistes ou, au contraire, de réduire au minimum cette activité. De fait, l’étude visait également à formuler des recommandations sur la façon de contrer l’extrémisme de droite au Canada. Nous avons donc mené des travaux de recherche approfondis sur le terrain à l’échelle du pays, interviewé divers intervenants, dont des représentants des forces de l’ordre et des groupes communautaires, ainsi que des membres de l’extrême droite. Nous avons en outre recueilli des renseignements issus de sources publiques (c’est-à-dire des comptes rendus médiatiques, des dossiers de cour, des sites Web et des médias sociaux) afin d’acquérir une compréhension plus approfondie du mouvement d’extrême droite au Canada.

Nous avons notamment constaté que l’extrémisme de droite est un domaine de recherche ignoré des érudits et des pédagogues sociaux depuis plus de 15 ans au Canada. Notre étude de trois ans a été bien reçue par les universitaires, les décideurs politiques et les praticiens. La publication subséquente des résultats a reçu une importante couverture médiatique. En effet, plus d’une centaine de reportages (à la télévision, dans la presse écrite et à la radio) ont fait état de nos travaux. Nos découvertes ont sensibilisé le grand public. Toutefois, ce qui importe encore plus à notre avis, c’est que nous avons été en mesure de façonner une partie du discours public et des conversations ayant lieu au sein des communautés et des forces de l’ordre à propos du caractère complexe de la haine au Canada. Nous y sommes arrivés en tissant des liens avec des journalistes et des reporters, ainsi qu’en intervenant auprès des groupes communautaires et des milieux policiers, notamment dans le cadre d’exposés et d’ateliers.

Or, il importe de souligner que les résultats de l’étude ont créé une onde de choc chez de nombreux Canadiens et Canadiennes. De fait, nous avons découvert que les fondements de la haine sont complexes et multidimensionnels, mais aussi qu’ils dépendent de conditions tant individuelles que sociales. Qui plus est, nous avons dû nous rendre à l’évidence que le mouvement d’extrême droite est bien vivant au Canada. De 1980 à 2015, par exemple, nous avons identifié plus de 100 groupes actifs et plus d’une centaine de cas de violence liés à la droite extrémiste au pays. Nous avons par ailleurs constaté que les médias de masse et le grand public ont longtemps ignoré la menace que présente la droite radicale. À la lumière de ces découvertes, nous avons proposé une approche multisectorielle pour éduquer la population sur la haine et faire en sorte que les extrémistes aient un impact minimal dans les communautés. Cette démarche demande de faire appel à des spécialistes du domaine, tels les organismes communautaires, les prestataires de services aux victimes, la police, les décideurs politiques et les médias.

Dans la foulée de ces travaux, le directeur et chercheur principal de l’équipe SOMEONE, Vivek Venkatesh, et moi sommes à mettre sur pied un projet – financé par Sécurité publique Canada – dans le cadre duquel nous imaginons des façons de se prémunir contre la haine et la radicalisation menant à la violence extrémiste au Canada. De caractère multisectoriel, notre modèle d’intervention emprunte aussi à la pédagogie sociale. Nous inclurons dans nos discussions les voix d’intervenants clés et inciterons les Canadiens et Canadiennes à réfléchir de manière critique sur la manière de répondre à la haine dans nos communautés. Nous espérons en outre que notre message fera son chemin dans les divers groupes communautaires ainsi que les milieux du renseignement et de la sécurité. Nous souhaitons également qu’il atteigne la population générale et contribue à maintenir la discussion dans la sphère publique. Nous vous ferons connaître plus de détails sur ce projet dans les mois à venir. Restez à l’affût.