L’Islamophobie savante et médiatique

Dans l’article suivant, Jihène Hichri, collaboratrice du Projet Someone (photo ci-dessus), explique un nouveau projet sur l’islamophobie savante et médiatique.

Par Jihène Hichri

L’islamophobie est une notion polysémique qui fait l’objet d’un débat, mais qui demeure une réalité sociale. Certains soutiennent qu’elle représente une forme d’hostilité envers l’islam et les musulmans. D’autres la considèrent comme une manipulation sémantique visant à faire passer toute critique de l’islam, des musulmans et des musulmanes pour du racisme anti-islam et anti-musulmans. En fait, la notion d’islamophobie se trouve convoquée par des « extrémistes religieux » pour proscrire toute critique de l’islam et des musulmans limitant ainsi la liberté d’expression comme droit fondamental. Bien qu’il soit absolument nécessaire que les démocraties soutiennent des débats et des critiques constructifs afin de lutter contre l’utilisation de la religion pour légitimer des systèmes d’oppression, il faut reconnaître que l’islamophobie est, bel et bien, une réalité sociale. Cette réalité s’incarne dans des discours et s’inscrit dans des expériences traduisant l’hostilité envers l’islam et les musulmans. Elle se manifeste non seulement dans les discours haineux, la discrimination et l’exclusion, mais aussi dans les crimes haineux résultant d’une représentation paranoïaque de l’islam et des musulmans. L’islamophobie est, comme le souligne Mekki-Berrada, une forme de « gouvernementalité de l’altérité musulmane » qui cherche à se normaliser, à s’institutionnaliser et à prendre plus de place dans la vie sociale, économique et politique. Pourtant, des « experts » en sciences humaines et sociales ou des intellectuels « savants » transmettent dans leurs écrits un discours qui sous-entend, ou même affirme clairement, au nom d’une douteuse culture savante, que l’islam et les musulmans sont inaptes à la science et que leurs valeurs sont incompatibles avec les valeurs occidentales. Cette religion est présentée comme ennemi de la liberté et un adversaire de la civilisation et des valeurs reconnues à l’occident. Ces intellectuels tentent de légitimer leurs discours par une généralisation abusive des pratiques rétrogrades de certains systèmes politiques et religieux dans certaines sociétés musulmanes. Notamment, l’oppression des femmes musulmanes prises au piège d’un système patriarcal qui leur dicte un certain mode de vie et leur impose le port du voile. Par ailleurs, le discours de ces intellectuels est souvent entretenu par certaines vedettes médiatiques qui peinent à montrer la neutralité de leur opinion, pourtant marquée d’un caractère discriminatoire. C’est à travers la médiatisation spectaculaire d’un certain nombre d’évènements révélateurs d’un islamisme intégriste que ce type d’opinion chercherait sa légitimité et gagnerait à influencer l’opinion publique. Il convient de se questionner sur les enjeux des discours véhiculés par ces acteurs. Notamment, la place qu’occupe « l’islamophobie savante » dans des journaux quotidiens traditionnels et la réception que font de l’islamophobie savante et médiatique des personnes se définissant comme musulmanes. Dans le cadre d’un projet de recherche partenarial entre l’université de Laval, notre équipe SOMEONE et d’autres universités et centres de recherche au Québec, en Belgique, en France et au Portugal, plusieurs textes savants et surtout médiatiques seront analysés afin de mieux comprendre « l’islamophobie savante et médiatique » et ses enjeux.

En tant que membre de l’équipe de recherche, je me penche sur l’analyse de plus de 1500 articles écrits par certains chroniqueurs et éditorialistes des principaux quotidiens traditionnels mis en ligne (QTEL) entre 2010 et 2020. Pour ce faire, une approche mixte combinant l’analyse linguistique de corpus et l’analyse critique de discours assistée par corpus (ACDAC), telle qu’adoptée par Venkatesh et al. (2016), est mobilisée. L’objectif est d’une part, d’identifier et mieux comprendre si oui et comment les thèmes islamophobes issus des textes savants préalablement analysés sont relayés par des chroniqueurs et des éditorialistes actifs dans des QTEL parmi les plus lus au Québec, d’autre part, d’analyser les stratégies discursives islamophobes, ainsi que les mécanismes selon lesquels ces stratégies sont développées, diffusées et reçues par les lecteurs des QTEL.

Le projet est en cours de réalisation, mais vous pouvez explorer les résultats préliminaires de cette recherche dans de prochaines publications.