Nouvelle recherche sur le discours entourant l’attentat féminicide de la Polytechnique

Par Laurie-Anne Beaulieu

La recherche menée au sein du Projet Someone sous la supervision de Maxime Bérubé et Vivek Venkatesh porte spécifiquement sur l’attentat antiféministe de Polytechnique. Elle s’appuie sur une méthodologie d’analyse critique du discours assisté par corpus (ACDAC) développée et utilisée par Thomas (2015) de l’Université Concordia. Le corpus à l’étude comprend une série de fils de discussions recueillis sur Reddit concernant l’attentat féminicide de la Polytechnique, survenu le 6 décembre 1989 à Montréal au Québec. L’objectif de l’étude était d’explorer les discours apparaissant dans les discussions publiques menées sur la plateforme.

L’ACDAC nous a permis de dévoiler la présence des discours portant sur la violence généralisée, le phénomène des meurtres collectifs, le contrôle des armes à feu, la psychologie du tueur, les discours ouvertement antiféministes, la présence de propos haineux et l’association de l’événement à une mouvance idéologique, tous recensés dans les médias traditionnels par Blais (2009). Cependant, nous avons également pu observer de nouvelles thématiques, propres à cette plateforme, permettant d’établir que deux types de discours supplémentaires s’y retrouvaient, soit ceux portant sur les discours haineux visant notamment l’origine du père du tueur, ainsi que sur l’association entre l’attentat Polytechnique et une mouvance idéologique incel.

Le projet contribue donc d’abord au développement des connaissances sur les propos tenus dans le cadre de discussions politiques dans l’espace numérique, et plus spécifiquement en ce qui a trait à la misogynie, à l’antiféminisme, aux propos haineux et aux liens avec les mouvements sociaux virtuels. Cette étude démontre comment ils représentent, d’une part, le reflet et l’extension virtuelle mouvante de structures sociales existantes dans le monde analogue, et de leurs impacts sociopolitiques en ligne et hors-ligne. Elle bonifie également la typologie que propose Blais (2009). En ce sens, et comme l’ACDAC le démontre, la tuerie de Polytechnique n’est qu’une plateforme de lancement parmi d’autres pour propager des discours entourant des polémiques qui existent déjà outre l’événement politique dont il est ici question. D’ailleurs, afin de favoriser la fécondité de cette nouvelle typologie et d’en permettre une réutilisation dans d’autres contextes, nous avons porté une attention particulière à présenter ces nouveaux types de discours d’une manière ne s’appliquant pas uniquement au cas d’étude. De ce fait, les découvertes de Blais (2009) et de la présente recherche peuvent éventuellement servir à analyser la manière dont on aborde d’autres attentats ou événements politiques dans les médias traditionnels et sociaux et les comparer selon les motivations politiques des tueurs, ou des cibles. Aussi, elle a le potentiel d’engendrer des retombées pratiques à des fins d’éducation sociale et d’amélioration des politiques publiques. En ce sens, elle pourrait contribuer à l’élaboration d’une démarche de sensibilisation sur la manière dont les discussions de nature polémique sont traitées dans l’espace numérique, et la façon dont certains types de discours servent à orienter les discussions subséquentes, notamment en détournant l’attention à l’égard de sujets centraux liés au contexte. Une telle recherche permet également d’avoir un regard plus objectif sur la manière dont certains événements peuvent être instrumentalisés à des fins politiques, ce qui s’avère une contribution pertinente à l’élaboration des politiques publiques sur les problématiques qui y sont associées.

Références:

Thomas, T. (2015). Analyzing Online Discourses of Canadian Citizenship: O Canada! True North, Strong, and Free? (Thèse de doctorat, Université Concordia)

Blais, M. (2009). J’haïs les féministes! Montréal, Canada : Éditions du Remue-ménage.